Rassurez-vous, je ne vais pas écrire qu'une mutation génétique du brochet fait qu'il s'intéresse désormais à la graine de chènevis
Toutefois, depuis des années, j'ai remarqué que les départs au vif sur une canne posée à proximité de la coulée de la pêche du gardon à la graine étaient plus fréquents que lors d'une pêche plus traditionnelle à la boulette d'amorce
ll m'est très souvent arrivé, lors d'une partie en rivière, d'avoir trois départs dans une journée. Il n'y a rien d'exceptionnel mais ce qui est plus surprenant, c'est la fréquence de ce type de situation.
Je serais presque tenté d'écrire qu'il s'agit d'une observation statistique.
En tous cas, pour moi, c'est une réalité qui se produit si souvent que je ne peux pas m'empêcher de chercher une explication ou un semblant d'explication.
Observons le comportement du petit poisson lors d'un amorçage à l'aide de boulettes suffisamment compactes pour rester sur le coup.
Ils se rassemblent, certes, mais avec une relative tranquillité puisque la quantité de nourriture ne déclenche pas de compétition alimentaire. Le poisson vient tranquillement taper dans la boulette d'amorce et, de ce fait, émet peu de vibrations perceptibles par les organes sensoriels du prédateur, doté d' un nombre phénoménal de capteurs.
Il y a certes, possibilité de départ ! Heureusement.
Observons maintenant le comportement de gardons amorcés et pêchés au chènevis.
Le bruit de deux ou trois poignées de grains dispersés en tête de coulée les rassemble inexorablement après quelques jours d'amorçage mais si ce réflexe pavlovien s'exerce sur les cyprinidés, il n'y a aucune raison pour que le brochet ne fasse pas la même association, toujours pavlovienne.
Les expériences de Pavlov se déroulaient avec un chien, une clochette et de la nourriture.
Avant de nourrir l'animal, on agitait une clochette et, après plusieurs jours, le simple fait d'agiter la clochette provoquait la production importante de sucs digestifs.
Simple réflexe d'association et, surtout, de "conditionnement" mais qui a son importance pour nous, pêcheurs.
Observons maintenant le comportement du gardon lors du grainage de rappel qui survient à chaque coulée par quelques grains jetés sur la plume qui quille.
Les poissons s'agitent et la compétition alimentaire fait qu'ils montent parfois très rapidement au devant de la graine pour être les premiers à s'approprier ces quelques grains. Vite ! Il n'y en aura pas pour tout le monde !
Oui, mais dans cette situation le poisson va rapidement dans tous les sens, émettant une grande intensité de vibrations qui a vite fait d'attirer le prédateur.
A mon avis, la boucle est bouclée et c'est la raison majeure d' une meilleure réussite.
J'ai eu, à plusieurs reprises, l'occasion d'observer le comportement d'un brochet avec des gardons en pleine fraie.
Ce sont des instants rares et j'ai passé des heures, dissimulé derrière un arbre penché sur l'eau, à jouir de ce spectacle.
Lorsque le gardon fraie il s'agite avec frénésie et, tout à ses amours, perd une partie de sa méfiance naturelle.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, "le brochet ne fonce pas dans le tas" mais il se dissimule à proximité avec la science du camouflage que nous lui connaissons et gare au gardon qui s'écarte du groupe!
L'attaque est fulgurante, discrète et sur une courte distance puis le carnassier reprend son poste en attendant le "client" suivant.
Par contre, s'il manque la cible, toute la troupe détale.
Je le rappelle, j'ai passé des heures et des heures, sans pêcher, bien entendu, à observer pareille situation.
Je pourrais d'ailleurs m'étendre sur la façon particulière et surprenante dont fraye le barbeau ou sur le comportement des chevesnes lors de la fraye des brèmes ou des carpes.
Mais revenons au brochet !
Si, en pêchant au chènevis, en rivière bien entendu, il m'est parfois arrivé de prendre trois brochets, ce qui m'est arrivé en début de mois est inédit pour moi.
Le décor ? Le Grand Morin, en Seine-et-Marne.
L'endroit ? Là...je resterai discret ou je ferai la réponse classique:
-Où l'as-tu pris ?
-Dans l'eau !
Un bel après-midi à la graine, sur un coup amorcé et entretenu, où j'ai réalisé des bourriches de 80 beaux gardons avec une canne à vif en aval, derrière les nénuphards.
Un départ !
Un modeste brochet de 51 cm.
Deuxième départ !
Ce n'est pas le même puisqu'il a gagné 1 cm pour arriver à 52 cm.
Troisième départ !
On progresse...à peine pour arriver à 53 cm.
Mais voici un quatrième départ !
Ah, c'est mieux avec 57 cm.
Mais ce n'est pas terminé: 5ème départ !
C'est encore mieux avec 60 cm mais peu importe la taille de ces prises. Ce qui est pour moi une première c'est que j'ai fait cinq prises dans l'après-midi alors que mes compagnons, excellents pêcheurs, eschant à l'asticot et amorçant aux boulettes, n'en ont pas eu un seul !
Meilleur pêcheur qu'eux ? Oh que non !
Plus chanceux ? Oh que non, malheureusement pour moi !
Il ne reste qu'une hypothèse ! L'agitation provoquée par les gardons qui se disputaient le grain émettait beaucoup de vibrations parfaitement perçues par les brochets qui s'embusquaient à proximité, attendant l'imprudent qui s'écarterait du groupe puisque pendant toute cette partie, j'ai pris de façon régulière et continue.
Il y a tout de même une conséquence, agréable pour moi: J'ai convaincu mes amis de se mettre ou se remettre à ce mode de pêche.
Et pour ceux d'entre vous qui restent encore réticents parce que la cuisson du grain est souvent dissuasive ou parce que la brutalité de la touche rend parfois le gardon imprenable, j'exposerai, dans un prochain article, un mode de pêche similaire mais avec une esche qui est aussi attractive et qui se réalise avec une grande facilité à condition de se mettre une heure en cuisine.